vivre l'expérience de l'art (27.01.2009)

J'ose m’écrire un message personnel. Relire ce texte, le lire encore. Et encore le lire en ces moments… Et de faire un vœu en cette fin janvier. Puisse-il être un peu partagé.

 

MIMOSAS 2009- PhotosLP.jpg

...mûrir comme l'arbre qui ne hâte pas sa sève et qui, tranquille,

se tient dans les tempêtes de printemps

sans redouter qu'après elles puisse ne pas venir l'été.

 

 

"(…) Et qu'ici, tout de suite, soit formulée cette prière: lisez le moins possible de choses d'ordre critique et esthétique - ce sont ou bien des vues partisanes, pétrifiées, et que leur durcissement sans vie a privées de sens, ou bien d'habiles jeux sur les mots où telle vue l'emporte aujourd'hui, et demain la vue opposée. Les Oeuvres d'Art ont quelque chose d'infiniment solitaire, et rien n'est aussi peu capable de les atteindre que la critique. Seul l'amour peut les saisir, les tenir, et peut être équitable envers elles. - C'est à vous-même, à ce que vous sentez, qu'il faut toujours donner raison, contre toutes ces analyses, ces comptes rendus ou introductions; quand bien même vous auriez tort, c'est la croissance naturelle de votre vie intérieure qui vous amènera lentement, avec le temps, à d'autres conceptions. Laissez vos jugements connaître leur propre développement, calme, non troublé; comme tout progrès, il doit venir de la profondeur du dedans et rien ne peut le hâter ni l'accélérer. Tout doit être porté à terme, puis mis au monde. Laissez chaque impression et chaque germe de sensibilité s'accomplir en vous, dans l'obscurité, dans l'indicible, l'inconscient, là où l'intelligence proprement dite n'atteint pas, et laissez-les attendre, avec humilité et une patience profonde, l'heure d'accoucher d'une nouvelle clarté; cela seul s'appelle vivre l'expérience de l'art: qu'il s'agisse de comprendre ou de créer.

Là, le temps ne peut servir de mesure, l'année ne compte pas, et dix ans ne sont rien; être artiste veut dire: ne pas calculer ni compter; mûrir comme l'arbre qui ne hâte pas sa sève et qui, tranquille, se tient dans les tempêtes de printemps sans redouter qu'après elles puisse ne pas venir l'été. Il vient de toute façon. Mais il vient seulement chez ceux qui, patients, sont là comme si l'éternité s'étendait devant eux, insoucieusement calme et ouverte. Je l'apprends tous les jours, je l'apprends au prix de douleurs envers lesquelles j'ai de la gratitude: la patience est tout! (…)"

 

Viareggio près Pise (Italie), le 23 avril 1903

 

Rainer Maria Rilke

Lettres à un jeune poète

 

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